I. VERDUN


17.02.2014 - S'enterrer

Aller à Verdun, préparer ce voyage à Verdun, c'est retourner cent ans en arrière, dans un temps qui n'a pas été transmis, ni par les parents, ni par les grands-parents. Il faudrait remonter plus loin encore.

Si je pense à la Première Guerre Mondiale, à ce que j'en sais, à ce que j'en ai entendu, à ce que j'en ai lu, il y a une liste plutôt maigre : les cours d'Histoire à l'école évidemment, l'ouvrage Paroles de poilusVoyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, La Grande Illusion de Renoir, A l'ouest, rien de nouveau d'Erich Maria Remarque etc.

Etrangement, il y a aussi cette découverte récemment autour de moi du journal intime d'un homme qui a connu à la fois la Première et la Seconde Guerre Mondiale dans notre région du Nord de la France.

Et puis, de manière plus personnelle encore, c'est le texte de Kafka, Le Terrier, qui me parle avec force de cet évènement du vingtième siècle.

"Je sais que c'est ici mon château fort que j'ai conquis sur le sol rebelle à coups de griffes et de dents, à coups de bélier et à coups de muscles, mon château fort qui ne saurait appartenir à nul autre qu'à moi et [qui m'appartient à tel point que] je puis recevoir ici en paix la blessure mortelle de l'ennemi, car mon sang coulera ici dans un sol qui m'appartient et il ne sera pas perdu."

L'histoire de cet être qui s'enterre dans la terre pour se protéger, tout en sachant que le danger guette toujours, je ne peux m'empêcher de le relier à ces hommes dans les tranchées, à ces hommes là qui, au coeur d'une bataille, s'enterraient dans la terre pour éviter les balles : 

"Les balles continuent à pleuvoir autour de moi, je risque d'être de nouveau atteint ; je fais donc tout mon possible pour me traîner dans un trou, j'ai bien du mal à m'y blottir." 
Désiré Edmond Renault, le 22 août 1914

J'aimerais que la première question poétique que je puisse me poser une fois sur place soit celle-ci, celle de la terre, celle du trou, celle de l'homme qui s'enterre. Cette première en ouvrira d'autres certainement.


21.02.2014 - DEPART POUR VERDUN

22.02.2014 - VISITES (Rive droite de la Meuse)

- Fort du Douaumont

- Fort de Vaux

- Ossuaire du Douaumont

- Citadelle souterraine de Verdun



23.02.2014 - VISITES (Rive gauche de la Meuse)

- Tranchée des Baïonnettes

- Louvemont village détruit

- Mémorial américain de Varennes-en-Argonne

- Musée Romagne 14-18 

- Cimetière militaire américain de Romagne-sous-Montfaucon


23.02.2014 - RETOUR DE VERDUN

Ces quelques photos sur les nombreuses prises, parmi d'autres médias comme la vidéo, les enregistrements sonores et les entretiens, témoignent des images fortes qui abreuvent le visiteur du champ de bataille de Verdun 14-18.

Je rentre sonné, comme l'on sort d'une salle de cinéma dans laquelle le trouble s'est installé.
Etait-ce réel ? Etait-ce de la fiction ? Qu'ai-je ressenti ?
Quel est ce monde auquel je reviens à la vie après ce temps dans cette obscurité à fixer un écran ?

Beaucoup de phrases dans la tête, beaucoup de questions encore, quelques certitudes.
Beaucoup de doutes également.
Sur moi-même, mon métier, ce que je fais et surtout comment j'ai l'habitude de le faire.
De m'être ainsi presque comporté en journaliste (tout ce matériel), avec la curiosité d'un historien (toutes ces informations), avec le regard de ma génération (toute cette naïveté), j'en viens à me demander si ce n'est pas en moi-même que je suis descendu.

Surtout, comment vais-je pouvoir écrire, parler, créer (sans penser à la suite contre laquelle on me met en garde) ?
La certitude d'avoir besoin d'énormément de temps et d'espace.
La certitude de devoir attendre la fin du projet (les trois lieux) pour commencer à m'y mettre, même si déjà des choses s'imposent d'elles-mêmes, des images, des coïncidences, des phrases chocs qui tenaient dans ma tête durant toute la préparation et que j'entends prononcer par des inconnus.

"Les jeunes, ils s'en foutent"
"Ce que les gens veulent maintenant c'est tout détruire."
"Je fais cela pour que les jeunes comprennent ce qu'il se passe en Afghanistan ou ailleurs."

J'essaie au long du parcours de me poser les questions qui fâchent, de ne pas les éviter.
En quoi est-ce le travail d'un auteur ?
Qu'est-ce qu'un lillois de 26 ans peut bien avoir fait à l'école pour découvrir la Première Guerre Mondiale à ce point ?
Quelle ignorance, naïveté, aveuglement appartiennent à ma génération (ai-je raison de me focaliser sur ma génération ?) ?

Pourtant, 
dans les forêts qui entourent Verdun,
le long de la Meuse, sur les ponts, au milieu des écluses,
devant les trous d'obus d'un vert tendre,
devant les murs détruits ensevelis sous les arbres,
dans ces champs de ruines,
dans ces cimetières symétriques, ordonnés, d'une esthétique totale,
je trouve un écho.